Augustin Sokolovski
Le 8 juillet, l'Église orthodoxe célèbre la mémoire de la sainte martyre Fébronia de Nisibis. Cette sainte est la patronne céleste de sainte Fébronia de Mourom (+1228), qui, avec son époux Pierre, est particulièrement vénérée dans l'Église orthodoxe russe comme patronne de la famille, du mariage et de la fidélité conjugale. De plus en plus de jeunes femmes portent le prénom de Fébronia à la naissance et au baptême, prénom totalement inconnu au XXe siècle.
Ce prénom est associé à celui du mois de février et à la notion de « purification ». À l'instar de Jules, Auguste, Janvier ou Martin, dont les noms sont issus de concepts sacrés romains et sont devenus des noms de mois, Fébronia aurait pu être soit un nom personnel, soit un surnom. Cela est particulièrement frappant dans le cas de sainte Fébronia de Nissibis. Après tout, en sa personne, nous honorons une martyre et une vierge qui a souffert non seulement pour sa confession de foi chrétienne, mais aussi pour son ferme désir de rester vierge à jamais au nom de la foi en Jésus-Christ.
Selon la Passion, Fébronia vivait dans une communauté de femmes. Le monachisme en tant qu'institution n'existait pas encore dans le christianisme, mais les vierges se consacraient à Dieu, c'est-à-dire qu'elles n'agissaient pas selon leurs propres préférences, mais selon des considérations purement bibliques et religieuses. À l'approche de la persécution, les vierges prirent la fuite, mais Fébronia choisit de ne pas se cacher, resta au monastère et fut capturée. Elle souffrit beaucoup et fut finalement décapitée.
La ville de Nisibis, aujourd'hui Nusaybin en Turquie, est située au sud-est du pays, près de la frontière avec la Syrie. La légende de la Sainte Image du Christ Sauveur et la célébration de son transfert d'Édesse à Constantinople furent immortalisées dans ces territoires mésopotamiens.
Après le troisième concile œcuménique (431) à Éphèse et le quatrième concile œcuménique à Chalcédoine (451), le christianisme oriental se scinda en Églises orthodoxe, nestorienne et monophysite. Nisibis devint ainsi la capitale sacrée des Nestoriens de Syrie, et Édesse celle des Monophysites. Sur la carte, Édesse et Nisibis se situent à gauche et à droite l'une de l'autre, à environ deux cents kilomètres de distance.
Au cours des premiers siècles du christianisme, ces villes étaient des points de passage frontaliers de l'Empire romain. Pour les chrétiens, elles servaient de point de départ à l'évangélisation de terres lointaines, notamment la Perse. Au fil du temps, des missionnaires atteignirent même la Chine et, selon certains chercheurs, fondèrent des centres religieux et des diocèses en Asie centrale et même au Tibet. Mais avec la propagation de l'islam et sa supériorité démographique due à la polygamie autorisée par cette religion, la présence chrétienne dans ces anciens bastions de l'évangélisation disparut progressivement.
Aujourd'hui, Édesse s'appelle Urfa ou Şanliurfa. Remarquons l'inscription fréquente « Urfa-kebab ». Il s'agit d'une recette de viande originaire de la ville où la Sainte Image fut révélée. Ce mélange de souvenirs sacrés et profanes nous entoure partout. Comme l'enseignait le grand saint russe Tikhon de Zadonsk (1724-1783), c'est « un trésor spirituel recueilli du monde ». C'est aussi un avertissement. L'oubli des choses spirituelles conduit à l'orphelinat conceptuel et à la perte des véritables fondements des toutes choses.
Mais revenons à sainte Fébronia. Elle vécut au tournant des IIIe et IVe siècles. La Vierge fut brutalement assassinée par des païens. Selon la légende, sa vie fut consignée par l'un des témoins directs de ses souffrances et transmise à l'Église par le grand évêque Jacques de Nisibis (+360). Contemporain de saint Nicolas, participant au premier concile œcuménique de Nicée, grand prophète et thaumaturge de l'Église syrienne et perse, il fut aussi le père spirituel dans la foi de saint Éphraïm le Syrien.
Les anciens calendriers liturgiques associent la mémoire de sainte Fébronia au jour de son martyre. Ses reliques étaient une source de guérison, mais en 363, elles furent transférées à Constantinople. Pourquoi ce transfert ?
L'histoire humaine est riche en événements et en bouleversements. Mais c'est en 363 que l'empereur Julien l'Apostat se trouvait tout près du tombeau de Fébronia. Il menait une guerre contre la Perse qu'il avait lui-même déclenchée. Son objectif ultime était la victoire sur les Perses et un nouveau titre de roi de Parthie, qui lui donnerait une légitimité dans sa politique de destruction du christianisme. Mais le 26 juin, au lendemain de la célébration en l'honneur de Fébronia, Julien fut tué au combat lors d'une retraite inattendue mais désespérée. Rappelons que la fête historique de Fébronia tombait le 25 juin. De nos jours, dans les Églises orthodoxes fidèles à l’ancien calendrier julien, ce jour tombe le 8 juillet. Selon le traité de paix entre Rome et la Perse, Nisibis devait passer aux mains des Perses. La célébration de la mémoire de Fébronia devint alors le signe avant-coureur de la défaite de l'apostat. Ses reliques furent transférées à Constantinople, signe prophétique de l'évacuation imminente. Évacuation, paix, concessions : quels concepts modernes ! Il y a véritablement une incroyable part d'archaïsme dans la modernité, comme l'écrit notre contemporain le philosophe Giorgio Agamben.
Trois siècles plus tard, la fille de l'empereur Héraclius (610-641) fut nommée en l'honneur de Fébronia. On pense que c'est lui qui raviva et répandit la vénération de la sainte bien au-delà de Constantinople. C'est Héraclius qui gagna la nouvelle guerre et vainquit même finalement la Perse et en 629 entra triomphalement à Constantinople par la Porte Dorée. Cependant, au cours d'une longue guerre mutuelle, les empires romain et perse se sont mutuellement saignés à blanc, à tel point que la propagation de l'islam, qui venait d'émerger, n'a tout simplement pas rencontré la résistance nécessaire. L'empire perse a rapidement été anéanti par les Arabes, qui ont ensuite assiégé Constantinople. Quel étonnant entrelacement des destins des empires et des souverains, dans la vie et la mort, et dans la vénération ultérieure de la vierge sans défense et martyre de Mésopotamie !